Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/265

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celles-là sont des choses, car c’est Dieu qui gouverne en elles. Il est la personne des choses, comme l’ouvrier est la personne de la montre… Quoique la plante manifeste une foule d’effets qui dérivent des capacités de son organisation, ces capacités ne sont dans toute langue que des propriétés (et non des facultés), parce qu’il n’y a point en elle de pouvoir personnel qui s’approprie ces capacités et les gouverne. La nature règne dans la plante, et non point la plante elle-même. Elle est le théâtre, et non le principe des phénomènes qu’elle manifeste.

S’emparer de ses capacités, se saisir de soi-même, avoir part en ce qui se fait en soi, s’approprier ses capacités, autant de métaphores. Jamais de faits, partout des comparaisons. Bien plus et bien pis, voilà que la volonté en nous devient la personne, le moi lui-même, être et principe distinct, lequel est à nos facultés ce que Dieu est à l’univers, et ce que l’ouvrier est à la montre. Ceci peut s’appeler la métaphysique des métaphores ; des fautes de style font ici des fautes de science ; le langage faux produit la pensée fausse ; en comparant des qualités et des pouvoirs à des êtres, on les change en êtres ; l’expression pervertie pervertit la vérité.

Traduisons. Qu’est-ce qu’un homme maître de lui-même ? C’est un homme qui, mourant de soif, s’abstient d’avaler une carafe d’eau glacée et y trempe seulement ses lèvres ; qui, publiquement insulté, reste calme en calculant la plus utile vengeance ; qui, dans une bataille, les nerfs exaltés