Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/341

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n’est point du tout poëte : très-froid et très-lucide, ses nerfs s’animent sans que son sang s’échauffe ; la verve multiplie ses idées sans les colorer. Son grand besoin est de voir clair ; il veut toujours se rendre compte, et dans la discussion dit quinze fois par heure : « Je n’entends pas. » Un peu sceptique, parfois moqueur, destructeur par occasion, surtout en matière d’illusions poétiques et métaphysiques, il a des habitudes d’algébriste, et a copié de sa main la Langue des calculs. Mais il a gardé la politesse du dernier siècle, et, si vivement qu’il vous réfute, il est impossible que vous lui vouliez du mal.

Il habite rue Bretonvilliers, à la pointe extrême de l’île Saint-Louis ; c’est la plus belle vue de Paris. De ses fenêtres on domine le Jardin des Plantes, et les yeux embrassent la magnifique courbure de la Seine qui descend de l’est, étalée largement entre ses deux quais déserts. Quand le soleil se lève, et qu’un grand pan de clarté vient argenter les petits flots innombrables, l’appartement s’emplit tout entier d’une lumière blanche, et les rayons irisés dansent avec une gaieté inexprimable dans les vieux carreaux. Les chambres sont hautes, lambrissées, avec des panneaux et des peintures dans le goût du dix-huitième siècle. Beaucoup d’espace, beaucoup de jour, peu de meubles ; en fait de livres, une bibliothèque toujours ouverte où sont