Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/359

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taphysicien ivre, cette cervelle dévergondée et sublime, cette prodigieuse lanterne magique où se heurte le pêle-mêle vertigineux des formes tournoyantes, où s’enchevêtre le chaos de toutes les idées et de toutes les sciences, où la sensualité secoue sa torche rouge et fumeuse, où le génie fait flamboyer tous ses éclairs ? Vous voyez qu’il y a une analyse à faire dans un écrit comme dans une digestion. De loin c’est un fait unique ; de près c’est un fait multiple. Au premier aspect on n’aperçoit que l’effet apparent : dans l’estomac, la métamorphose des aliments ; dans le livre, l’assemblage des vingt mille phrases. Mais l’assemblage des vingt mille phrases, comme la métamorphose des aliments, est accompagné par un nombre infini de circonstances inconnues. Dans l’examen de Rabelais comme dans l’histoire de la digestion, nos faits multipliés ont complété notre traduction et composé notre analyse. Dans les sciences morales comme dans les sciences physiques, le progrès consiste dans l’emploi de l’analyse, et tout l’effort de l’analyse est de multiplier les faits que désigne un nom.

Voici une Passion par Albert Durer ; chaque mouvement, chaque forme y est l’effet visible d’une suite de sentiments invisibles. Le vulgaire aperçoit cet effet ; l’analyse tire cette suite à la lumière. La férocité des visages, l’abus de la laideur méchante