Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/63

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bourgeons du sommet crèvent et baignent leurs petites pousses dans l’air lumineux des hauteurs. Je vois entre les tas de feuilles mortes des primevères, des violettes, des pervenches bleues comme des yeux de jeune fille ; il y a aussi des euphorbes déjà pleins de lait, si gonflés de sève, que leur pyramide verte fléchit sous le faix de leur tête. Que ce vent est doux ! Que ces feuillages sont jeunes ! On les voit trembler sous ses coups d’aile, et les yeux, malgré eux, suivent le miroitement des feuilles, qui tour à tour montrent et cachent au soleil leur dessous blanchâtre et leur dos luisant. — Que s’est-il passé en moi-même ? Je viens de voir la forêt ; un peintre l’eût vue mille fois mieux. Il est clair que les idées sont représentatives, que j’ai eu en moi un simulacre de la forêt, que mon esprit a la propriété de prendre toutes sortes d’apparences, et que je puis apercevoir en lui comme dans un miroir ou dans un tableau, tantôt véridique, tantôt infidèle, les objets qu’en cet instant je ne vois pas.

Poussons plus loin. Votre feu est chaud, vous êtes seul ; le roulement des voitures vous arrive étouffé et monotone, la rêverie vous prend tout à fait. À l’instant la scène change. L’illusion vient. Le fantôme prend un corps. L’objet imaginaire[1]

  1. Loi de Spinosa retrouvée par Dugald Stewart. La concep-