Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/71

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dogmes. Pour lui, enfermé dans son œuvre, il s’enfonçait toujours plus avant dans sa psychologie des forces, de là dans une métaphysique subtile, plus loin encore jusqu’aux confins du mysticisme, laborieux, abstrait, obscur dans son style, sorte d’oracle visité par quelques chercheurs, mais reculé dans les hauteurs, voilé de nuages, entouré de broussailles, inaccessible au vulgaire. Encore aujourd’hui, il rebute, et si on le donne à lire à des gens versés dans les sciences expérimentales, amateurs d’idées claires, accoutumés aux faits précis et prouvés, il n’est pas sûr qu’ils lisent un de ses volumes jusqu’au bout.

J’habitais porte à porte avec un jeune médecin rue Mazarine, et depuis six mois, presque tous les soirs, nous philosophions ensemble. Mon impétueux ami avait le tempérament de Broussais, et couvrait ma table de physiologistes auxquels je répondais par des métaphysiciens. Un jour je lui apportai les œuvres de Maine de Biran et je lui dis en empruntant les paroles de M. Cousin :

« Prenez et lisez. Voici la pierre angulaire du temple ; le premier maître du spiritualisme, le révélateur de la force libre, le plus grand métaphysicien de notre temps. »

Il tourna et retourna les quatre volumes, les ouvrit, fronça les sourcils, gronda un peu, me prit par la main, et me poussant dans ma chambre,