Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/80

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lais qui « pindarisait en latin » devant Panurge : mais vous savez le latin, même pindarique. Quand vous voudrez comprendre celui-ci, traduisez-le. »

Là-dessus, il prit le livre, relut le passage, vérifia mot à mot la traduction. Un instant après, il fourra les quatre volumes dans ses poches, boutonna son paletot sans mot dire et s’en alla courant. Pendant dix jours, on ne le vit plus. Son portier, par ordre, annonçait qu’il était en voyage.


II


Au bout de ce temps, il vint chez moi avec les quatre volumes, cette fois muni d’un cahier : « Voilà l’homme ! je l’ai traduit. Mais c’est un terrible homme. Quelle besogne ! il y a telle phrase qui m’a coûté deux heures. Écoutez-moi sans m’interrompre, et dites si vous l’entendez comme moi.

Vous n’aviez pas tort. Il a pensé. C’est un esprit vigoureux, très-vigoureux, puisque avec ce style il n’est pas devenu imbécile. J’estime un homme qui ayant un boulet aux jambes se met à marcher. Il a creusé profondément, il a saisi dans un recoin obscur une idée singulière, il l’a pressée dans ses mains tenaces, il l’a gardée sous sa prise, toute glissante qu’elle fût, il en a exprimé tout le suc, et, avec cette liqueur étrange, il est venu tout