Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/96

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n’est point le mouvement du muscle, mais la sensation musculaire. Nous n’opérons et nous ne voulons le mouvement que par contre-coup. Nous n’avons qu’une puissance dépendante et indirecte. Nous ne tenons que trois rouages d’une machine compliquée, qui se meut en nous et sans nous. Dites maintenant si la monade s’applique au muscle. Dites surtout si la conscience aperçoit cette application. Dites si M. de Biran a pu voir ce qui manifestement n’est pas. Ce n’est point par une vue directe et subite, c’est par une induction lente que nous découvrons la liaison de nos résolutions morales et de nos mouvements physiques. Nous constatons une coïncidence et une dépendance pareille à celle que nous observons entre la vibration et le son. Nous érigeons cette dépendance en loi générale ; nous sentons que toutes les conditions restant les mêmes, il serait absurde que cette loi fût démentie ; nous prévoyons que la résolution étant donnée, le mouvement se fera ; nous jugeons nécessaire qu’il se fasse, et transportant cette nécessité dans la résolution, nous disons que la résolution est une force et produit le mouvement. Voilà tout l’artifice. Mais ce jugement n’est point une vue spontanée, il n’est qu’une croyance acquise. La preuve en est qu’il est faux quelquefois ; car une croyance peut l’être, et une vue ne peut pas l’être. On peut croire ce qui n’est pas ; mais on ne peut