Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/153

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pour lui plaire il ne lisoit que les livres de M. Du Plessis. Cette femme, soit que ses purgations eussent cessé, car elle étoit d’âge à cela, ou qu’elle fût devenue hydropique, s’imagina être grosse, et le crut d’autant plus qu’on lui avoit prédit qu’elle auroit un fils qui seroit maréchal de France. Elle avoit espéré l’effet de cette prédiction déjà deux fois, car elle avoit deux garçons, et elle les avoit vus tous deux commencer à porter les armes. L’aîné fut noyé au siége de Bois-le-Duc, et l’autre fut tué malheureusement l’année que les ennemis prirent Corbie. On faisoit garde dans tous les villages des environs de Paris, il revenoit avec Tilly, qui est mort depuis peu gouverneur de Colioure. Ce Tilly étoit ivre, cela lui arrivoit souvent ; il alla donner l’alarme en je ne sais quel village, et un paysan, à l’étourdie, donna un coup de carabine à La Tabarière, dont il mourut.

La mort de ce second fils la fit résoudre à se remarier. Le maréchal crut qu’elle étoit grosse, et l’écrivit à tous ses amis. À Charenton on disoit que c’étoit une nouvelle Sara. Mais le miracle n’étoit pas autrement nécessaire, car le maréchal pouvoit compter en fils et en petits-fils plus de vingt-quatre enfants. À la cour on disoit que c’étoit l’Antechrist. Enfin il se trouva qu’elle étoit presque hydropique, et au bout de trois mois elle en mourut en partie de regret. On a dit même que du dépit qu’elle eut de ce qu’on se moquoit partout de cette belle grossesse, elle fut trois semaines à ne prendre quasi rien, faisant accroire à sa femme-de-chambre qu’elle étoit dans un dégoût effroyable. Cette fille n’en dit rien à personne, parce que sa maîtresse lui disoit toujours que l’appétit lui reviendroit, et que