Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/189

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aussi bien que pour les oreilles. Il le reprenoit de rimer le simple et le composé, comme temps et printemps, jour et séjour ; il ne vouloit pas qu’on rimât les mots qui avoient quelque connivence ou qui étoient opposés, comme montagne et campagne[1], offense et défense, père et mère, toi et moi ; il ne vouloit pas non plus qu’on rimât les mots dérivés d’un même mot, comme, admettre, commettre, promettre, qui viennent tous de mettre ; ni les noms propres les uns avec les autres, comme Thessalie et Italie, Castille et Bastille, Alexandre et Lisandre ; et sur la fin il étoit devenu si scrupuleux en ses rimes, qu’il avoit même de la peine à souffrir qu’on rimât les verbes en er qui avoient tant soit peu de convenance, comme, abandonner, ordonner, pardonner, et disoit qu’ils venoient tous trois de donner. La raison qu’il en rendoit est qu’on trouvoit de plus beaux vers en rapprochant les mots éloignés, qu’en rimant ceux qui avoient de la convenance, parce que ces derniers n’avoient presque qu’une même signification. Il s’étudioit fort à chercher des rimes rares et stériles, sur la créance qu’il avoit qu’elles lui faisoient trouver des pensées nouvelles, outre qu’il disoit que cela sentoit un grand poète de tenter les rimes qui n’avoient point encore été rimées. Il faut entendre cela principalement pour les sonnets où il faut quatre rimes. Il ne vouloit point qu’on rimât sur bonheur ni sur malheur, parce que les Parisiens n’en prononcent que l’u, comme s’il y avoit bonhur, malhur, et de le rimer à honneur il le trouvoit trop proche. Il défendoit de rimer à flame, parce qu’il l’écrivoit et le prononçoit

  1. Il l’a rimé lui-même. (T.)