Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/251

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qu’on l’avoit fait venir pour donner plus de moyens à la Reine de faire un enfant.

Elle se mit aussi à cabaler avec M. de Châteauneuf, qui étoit amoureux d’elle. C’étoit un homme tout confit en galanterie. Il avoit bien fait des folies avec madame de Pisieux. Il devoit beaucoup. Il n’en fit pas moins pour madame de Chevreuse. En voyage, on le voyoit à la portière du carrosse de la Reine, où elle étoit, à cheval, en robe de satin, et faisant manége. Il n’y avoit rien de plus ridicule. Le cardinal en avoit des jalousies étranges, car il le soupçonnoit d’en vouloir aussi à la Reine, et ce fut cela plutôt qu’autre chose, qui le fit mener prisonnier à Angoulême, où il ne fut guère mieux traité que son prédécesseur, le garde-des-sceaux de Marillac. Madame de Chevreuse fut reléguée à Dampierre, d’où elle venoit déguisée, comme une demoiselle crottée, chez la Reine, entre chien et loup. La Reine se retiroit dans son oratoire ; je pense qu’elles en contoient bien du cardinal et de ses galanteries. Enfin elle

    dit la princesse. Elle étoit jeune, elle étoit femme, elle étoit vive et gaie ; l’idée d’un pareil spectacle lui parut divertissante. Elle prit au mot sa confidente, qui fut, du même pas, trouver le cardinal. Ce grand ministre, quoiqu’il eût dans la tête toutes les affaires de l’Europe, ne laissoit pas en même temps de livrer son cœur à l’amour. Il accepta ce singulier rendez-vous : il se croyoit déjà maître de sa conquête ; mais il en arriva autrement. Boccau, qui étoit le Baptiste d’alors, et jouoit admirablement du violon, fut appelé. On lui recommanda le secret : de tels secrets se gardent-ils ? c’est donc de lui qu’on a tout su. Richelieu étoit vêtu d’un pantalon de velours vert : il avoit à ses jarretières des sonnettes d’argent ; il tenoit en mains des castagnettes, et dansa la sarabande que joua Boccau. Les spectatrices et le violon étoient cachés, avec Vautier et Beringhen, derrière un paravent d’où l’on voyoit les gestes du danseur. On rioit à gorge déployée ; et qui pourroit s’en empêcher, puisqu’après cinquante ans, j’en ris encore moi-même ? » (Mémoires de Brienne, 1828, t. 1, p. 274-6.)