Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/266

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C’étoient ses deux principales folies que la faveur et la bravoure. Il disoit qu’il falloit tenir le bassin de la chaise percée à un favori, pour l’en coiffer après, s’il venoit à être disgracié. Le voilà donc du côté des plus forts. Madame Pilou[1], qui le connoissoit de longue main, l’alla voir à La Grange du Milieu, auprès de Grosbois ; c’est une belle maison qu’il a fait bâtir depuis. Elle lui parla de l’exécution de la maréchale d’Ancre, et disoit que c’étoit une grande vilainie que d’avoir fait couper le cou à cette pauvre femme. « Ta, ta, ta ! lui va-t-il dire brusquement ; vous parlez, vous parlez, sans savoir ce que vous dites. C’est le commissaire Canto, votre voisin, qui vous dit toutes ces belles chose-là ; c’est de lui que vous tenez toutes vos nouvelles ; je l’eusse tué, moi, le maréchal d’Ancre : M. d’Angoulême et moi le devions dépêcher à la rue des Lombards. » En disant cela il lui porte trois ou quatre coups de pouce de toute sa force dans le côté, qui lui firent si grand mal qu’elle en cria. « Le voilà mort, dit-il à haute voix, le voilà mort, le poltron ; je n’aime point les poltrons : je le voulois faire sauter une fois avec une saucisse, quand il seroit au conseil chez Barbin le surintendant. J’avois bien, ajoute-t-il, une plus belle invention : j’eusse porté une épée couverte de crêpe le long de ma cuisse, et, dans la presse, je lui en eusse donné dans le ventre en faisant semblant de regarder ailleurs. » Le cardinal de Richelieu fit prier madame Pilou de lui venir faire tous les contes qu’elle savoit du président de Chevry, qui vivoit encore ; elle ne le voulut jamais.

  1. On trouvera ci-après l’Historiette de cette femme singulière.