Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/323

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croyoit qu’effectivement les ennemis parussent, quand on venoit donner l’alarme.

Ce monsieur le marquis traitoit un jour bon nombre de gentilshommes. Ses propos de table étoient toujours de quelque bel exploit de guerre. Ce jour-là on parla fort des neuf preux, et entre autres d’Alexandre, d’Annibal et de César[1]. Un de la troupe, plus éveillé que les autres, et peut-être, aussi, las d’entendre tant de fariboles, se mit à dire qu’on faisoit trop d’honneur à ces gens de ne parler point de leurs vices ; qu’Alexandre étoit un ivrogne, qu’il avoit tué Clytus, etc. etc. ; César un débauché, un tyran, et Annibal un f.... borgne. À peine eut-il prononcé ces blasphêmes, que le marquis se lève et lui fit signe de le suivre dans un coin de la salle ; là, il lui dit : « Je ne sais pas de quoi vous vous avisez de m’offenser de gaîté de cœur comme cela. » L’autre, le voyant parler si sérieusement, eut quelque frayeur, et crut que c’étoit tout de bon. Il lui répond qu’il n’a jamais eu intention de le fâcher, et qu’il ne sait pas en quoi il lui peut avoir déplu. « Pourquoi est-ce donc, continua le marquis, que vous dites du mal d’Alexandre, d’Annibal et de César ? — Ah, monsieur, dit le gentilhomme qui entendoit raillerie, je ne savois pas, ou Dieu me damne ! qu’ils fussent ni de vos parents ni de vos amis ; mais je réparerai bien le tort que je leur ai fait ; » et tout d’un temps, avant que de se remettre à table, il se fait apporter à boire, et boit à Alexandre et à tous les autres, et se fit faire raison.

Ce M. d’Assigny et sa femme[2] ont fait le plus chien

  1. Les autres sont : Josué, David, Charlemagne, Artus, Godefroi de Bouillon. (T.)
  2. Hélène de Beaumanoir, marquise d’Acigné.