Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/322

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nière. Il lui est arrivé plusieurs fois d’envoyer dans les forêts de Bretagne pour l’avertir, quand il viendroit en certains endroits, où il passoit exprès, qu’une dame étoit retenue par force dans un château, ou quelqu’autre aventure de chevalerie ; et content d’avoir fait semblant d’y aller, il retournoit par un autre chemin à sa maison.

Il dépêchoit quelquefois des gentilshommes à M. le cardinal de Richelieu, ou du moins on les voyoit partir, afin de faire accroire qu’il avoit part aux affaires. Une fois Le Pailleur en rencontra un sur le chemin de Paris, qui avoit été nourri page de notre marquis. Cet homme, qui n’étoit pas moins fou que son maître, lui disoit : « Ah ! monsieur, l’admirable homme que M. le marquis ! au retour de la chasse, il ne m’a pas permis de rentrer dans le château ; il m’a donné ce paquet que vous voyez » ; et, en disant cela, il lui montra un paquet de lettres gros comme la tête. « Faites diligence, m’a-t-il dit, car il y va du service du Roi. Il faut avouer, ajouta ce pauvre fou, qu’on apprend bien à vivre chez Monsieur. Que penseriez qu’il fait pour nous aguerrir ? Il fait que quelqu’un, comme nous venons de nous mettre à table, vient crier : Aux armes, les ennemis approchent. Aussitôt chacun court à ses armes, et nous courons quelquefois une demi-lieue jusqu’à ce qu’on nous vient dire qu’ils se sont retirés. Deux autres gentilshommes et moi sommes toujours auprès de Monsieur, de peur qu’il ne s’engage trop avant parmi les ennemis ; aussi nous tient-il pour les plus vaillants. Après, nous retournons dîner. » Le Pailleur disoit que ce bon gentilhomme parloit si sérieusement, qu’on ne savoit s’il