Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/39

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Bellegarde. « Hé ! dit-il, il n’a garde qu’il ne s’avance ; on le pousse assez… » Il avoit la voix belle, et chantoit bien, mais il n’en fit jamais son capital, et cessa de chanter d’assez bonne heure.

Une dame d’Auvergne, sœur de madame de Senneterre, de la maison de La Chastre, se mit en tête d’être galantisée par ce M. de Bellegarde, dont elle entendoit tant parler, et un jour qu’il passoit assez près du lieu où elle demeuroit, elle l’envoya prier de venir loger chez elle. Il y alla ; elle se fit toute la plus jolie qu’elle put ; … et il repartit le lendemain matin. Au bout de trente ans il la revit à Paris ; elle étoit effroyablement changée ; il ne voulut pas croire que ce fût elle, et craignoit que le monde ne s’imaginât que cette femme-là ne pouvoit jamais avoir été passable.

Jamais il n’y eut un homme plus propre ; il étoit de même pour les paroles. Il ne pouvoit entendre nommer un pet. Une nuit il eut une forte colique venteuse ; il appela ses gens et se mit à se promener, et, en se promenant, il pétoit ; Yvrande, garçon d’esprit, qui étoit à lui, y vint comme les autres, mais il se cacha ; M. de Bellegarde l’aperçut à la fin : « Ah ! vous voilà, lui dit-il, y a-t-il long-temps que vous y êtes ? — Dès le premier, monsieur, dès le premier. » M. de Bellegarde se mit à rire, et cela acheva de le guérir.

Un jour que le dernier cardinal de Guise, qui étoit archevêque de Reims, vint fort frisé dîner chez M. de Bellegarde, le même Yvrande alla dire tout bas ces quatre vers à M. le Grand (on appeloit ainsi M. de Bellegarde) :

Les prélats des siècles passés
Étoient un peu plus en servage,