Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/421

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M. le Grand[1] croyoit si peu mourir, que comme on le vouloit faire manger pour lui prononcer après sa sentence, il dit : « Je ne veux point manger ; on m’a ordonné des pilules, j’ai besoin de me purger, il faut que je les aille prendre. » Il mangea peu. Après on leur prononça leur sentence. Une chose si dure et aussi peu attendue ne fit cependant témoigner aucune surprise à M. le Grand. Il fut ferme, et le combat qu’il souffroit en lui-même ne parut point au dehors. Quoiqu’on eût résolu de ne point lui donner la question, comme portoit la sentence, on ne laissa pas de la lui présenter ; cela le toucha, mais ne lui fit rien faire qui le démentît, et il défaisoit déjà son pourpoint, quand on lui fit lever la main pour dire vérité. Il persévéra, et dit qu’il n’avoit plus rien à ajouter. Il mourut avec une grandeur de courage étonnante, ne s’amusa point à haranguer, salua seulement ceux qu’il reconnut aux fenêtres, se dépêcha, et quand le bourreau lui voulut couper les cheveux, il lui ôta les ciseaux et les donna au frère du Jésuite. Il vouloit qu’on ne lui en coupât qu’un peu par-derrière ; il retira le reste en devant. Il ne voulut point qu’on le bandât. Il avoit les yeux ouverts quand on le frappa, et tenoit le billot si ferme qu’on eut de la peine à en retirer ses bras. On lui coupa la tête du premier coup. M. le Grand étoit plein de cœur ; il ne fut point ébranlé par un si grand revers. Au contraire, il avoit écrit de fort bon sens et même élégamment à la maréchale d’Effiat, sa mère.

  1. Quelques-uns des faits relatifs à Cinq-Mars sont placés, dans le manuscrit original, à l’article de Louis XIII ; on a cru devoir les réunir tous ici, pour éviter la confusion et les redites.