Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/60

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voulurent pas vendre leur part. Il ne leur fit point de bien. Il en fit aux autres, et principalement à son frère.

Régnier, poète satirique, son neveu, ne fut à son aise qu’après la mort de Desportes ; alors le maréchal d’Estrées lui fit donner une abbaye de cinq mille livres de rente. Il avoit déjà une prébende de Chartres.

Desportes étoit en si grande réputation, que tout le monde lui apportoit des ouvrages pour en avoir son sentiment. Un avocat lui apporta un jour un gros poème qu’il donna à lire à Régnier, afin de se délivrer de cette fatigue ; en un endroit cet avocat disoit :

Je bride ici mon Apollon.

Régnier écrivit à la marge :

Faut avoir le cerveau bien vide
Pour brider des Muses le roi ;
Les dieux ne portent point de bride,
Mais bien les ânes comme toi.

Cet avocat vint à quelque temps de là, et Desportes lui rendit son livre, après lui avoir dit qu’il y avoit bien de belles choses. L’avocat revint le lendemain tout bouffi de colère, et, lui montrant ce quatrain, lui dit qu’on ne se moquoit pas ainsi des gens. Desportes reconnoît l’écriture de Régnier, et il fut contraint d’avouer à l’avocat comme la chose s’étoit passée, et le pria de ne lui point imputer l’extravagance de son neveu. Pour n’en faire pas à deux fois, je dirai que Régnier mourut à trente-neuf ans à Rouen, où il étoit allé pour se faire traiter de la v..... par un nommé Le Sonneur. Quand il fut guéri, il voulut donner à manger