Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/75

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familles, il s’en mit en colère, et dit que le mot de famille n’étoit bon que pour le chancelier, qui n’étoit qu’un citadin.

Jamais il n’y eut un surintendant plus rébarbatif. Cinq ou six seigneurs des plus qualifiés de la cour, et de ceux que le Roi voyoit de meilleur œil, l’allèrent un après-dîner visiter à l’Arsenal. Ils lui déclarèrent en entrant qu’ils ne venoient que pour le voir. Il leur répondit que cela étoit bien aisé, et s’étant tourné devant et derrière pour se faire voir, il entra dans son cabinet et ferma la porte sur lui.

Un trésorier de France, nommé Pradel, autrefois maître-d’hôtel du vieux maréchal de Biron, et fort connu du Roi, ne pouvoit avoir raison de M. de Sully, qui lui ôtoit ses gages. Un jour il le voulut faire sortir de chez lui par les épaules, mais cet homme prit un couteau de dessus la table, car le couvert étoit mis, et lui dit : « Vous aurez ma vie auparavant ; je suis dans la maison du roi, vous me devez justice. » Enfin, après bien du bruit, Pradel alla trouver le Roi, lui conta l’histoire, et déclara que, dans le désespoir où le mettoit M. de Sully, il ne se soucioit point d’être pendu, pourvu qu’il se fût vengé ; qu’aussi bien il mourroit de faim. Le Roi le gourmanda fort ; mais, quelques plaintes que fît M. de Sully, il fallut payer Pradel.

Un Italien, venant de l’Arsenal, où il avoit eu quelques rebuffades du surintendant, passa par la Grêve, où l’on pendoit quelques malfaiteurs. « Ô beati impiccati ! s’écria-t-il, che non avete da fare con quel Rosny. »

Il étoit si haï que par plaisir on coupoit les ormes qu’il avoit fait mettre sur les grands chemins pour les