Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/85

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

trier. On lui demanda s’il le reconnoîtroit bien. Il répondit qu’oui. C’est pourquoi on le mit à Grenoble à une grille de la prison qui répond sur la grande place appelée Saint-André. Il n’y fut pas long-temps sans voir passer le colonel, qu’il reconnut aussitôt, et qui fut tout aussitôt emprisonné, car il avoit cru sottement que ce berger n’avoit rien vu.

M. de Lesdiguières, en ayant reçu avis en diligence, craignit que, si cette affaire s’approfondissoit, sa maîtresse ne fût terriblement embarrassée ; il partit promptement du lieu où il étoit, et, entrant dans la ville sans qu’on l’y attendît, alla d’autorité délivrer le Piémontais, et le fit sauver en même temps. Le parlement fit du bruit, et voulut s’en venger sur la maîtresse de M. de Lesdiguières, ne pouvant s’en venger sur lui-même. Mais comme le connétable étoit adroit, il sut si bien négocier avec chaque conseiller en particulier, qu’il ne se parla plus de cette affaire.

Depuis ce temps-là il fut encore cinq ou six ans sans épouser la marquise, et à la fin il s’y résolut, pour légitimer les deux filles qu’il en avoit eues. Elles étoient adultérines pourtant[1].

Il en avoit une d’un premier lit qui fut mariée à M. de Créqui. M. de Lesdiguières d’aujourd’hui, auparavant M. le comte de Saulx, et feu M. de Canaples, père de M. de Créqui d’à présent, vinrent de ce mariage. Cette fille étant morte, on prit une étrange résolution, qui fut de marier les deux filles qu’il avoit eues de madame la connétable, l’une au comte de

  1. En partant pour s’aller marier, il dit à sa maîtresse : « Allons donc faire cette sottise, puisque vous le voulez. » (T.)