Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/89

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chemin, il ne viendra d’aujourd’hui. » Il travailla de fort bon sens, après il fit venir son curé. « Monsieur le curé, lui dit-il, faites-moi faire tout ce qu’il faut. » Quand tout fut fait : « Est-ce là tout, dit-il, monsieur le curé ? — Oui, monsieur. — Adieu, monsieur le curé, en vous remerciant. » Le médecin lui dit : « Monsieur, j’en ai vu de plus malades échapper. — Cela peut être, répondit-il, mais ils n’avoient pas quatre-vingt-cinq ans comme moi. » Il vint des moines à qui il avoit donné quatre mille écus, qui eussent bien voulu en avoir encore autant. Ils lui promettoient paradis en récompense. « Voyez-vous, leur dit-il, mes pères, si je ne suis sauvé pour quatre mille écus, je ne le serai pas pour huit mille. Adieu. » Il mourut comme cela, le plus tranquillement du monde.

J’ajouterai quelque chose de feu M. de Créqui. On lui dit, quand il voulut attaquer Gavi, forteresse des Génois, que Barberousse n’avoit pu la prendre. « Eh ! bien, répondit-il, Barbegrise la prendra. » Il la prit en effet.

Il disoit les choses assez plaisamment. Un jour il tomba du haut d’un escalier en bas, sans se faire autrement de mal. « Ah ! monsieur, lui dit-on, que vous avez sujet de remercier Dieu ! — Je m’en garderai bien, dit-il, il ne m’a pas épargné un échelon. »

Il fit de si grandes pertes au jeu qu’il en pensa perdre l’esprit, et si le connétable ne lui eût envoyé cent mille écus et promesse d’autant, il n’en fût point revenu. Il n’y eut que cela qui le remit. Il étoit fort coquet et il vouloit toujours paroître jeune. Quand le cardinal de Richelieu, avant que d’être duc, se fit recevoir conseiller honoraire au Parlement, M. de Cré-