Page:Tannery - Pour l’histoire de la science Hellène.djvu/305

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vue physique, nullement au point de vue géométrique. D’autre part, la condition de remplir tout l’espace ne peut être satisfaite qu’en supposant que les dimensions de ces indivisibles sont susceptibles de descendre au-dessous de toute grandeur donnée.

Si le Timée était perdu, on s’en ferait une singulière idée en étudiant la polémique d’Aristote. Et cependant c’est le disciple de Platon, et si, sur bien des points, il n’a pas suivi les évolutions du Maître, il nous a souvent gardé, en se l’appropriant, un moment de sa pensée.

C’est dire qu’il ne faudrait pas s’attendre à voir Anaxagore mieux expliqué par Aristote que ne l’est Platon, quand même le Stagirite eût fait au Glazoménien des emprunts directs. A quel point il a défiguré la conception de la matière de ce dernier, on l’a vu; et pourtant, dans sa propre théorie, on reconnaît encore un écho très affaibli de la doctrine méconnue. Toutefois, elle n’intervient qu’avec deux autres éléments distincts et prépondérants : d’une part, les déterminations d’Empédode; de l’autre, des concepts purement platoniciens. Le compromis entre ces trois facteurs porte d’ailleurs la marque du maître d’Aristote, et quoique celui-ci y ait apporté sa précision ordinaire, cette combinaison peut bien sembler une de celles où il répétait surtout les paroles de Platon.

Les quatre éléments d’Empédocle sont éternels et inaltérables; ceux d’Aristote, au contraire, se transforment les uns dans les autres. Ce ne sont donc point des principes; comme tels, le Stagirite énonce trois véritables abstractions : la matière, l’espèce (ou forme) et la privation.

Si le dogme ionien de l’unité de la matière se retrouve ainsi derrière ces abstractions, il y a opposition flagrante avec le principe d’Anaxagore, puisque celui-ci n’admet pas la privation comme possible, ce en quoi il a d’ailleurs théoriquement raison. Mais, si nous nous demandons quelles espèces par leur présence ou leur absence constituent les diverses formes élémentaires, nous retrouvons ces mêmes couples de qualités qui jouaient le principal rôle pour le Clazoménien : le chaud et le froid, le sec et l’humide.

Ainsi le feu est chaud et sec, l’air chaud et humide, l’eau froide et humide, la terre froide et sèche; c’est par les échanges de ces qualités que la transformation des éléments peut s’accomplir; mais elles sont tout abstraites, et d’ailleurs aucune loi de ces transformations ne se trouve indiquée.