Page:Tannery - Pour l’histoire de la science Hellène.djvu/85

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courroucés devait trop frapper un peuple marin pour qu’il ne fût pas naturellement amené à la considérer comme la cause des tremblements de terre.

Je ne trouve, en somme, qu’un mythe qui présente une analogie véritable avec la « barque Sekhti » des Égyptiens ou les bassins creux d’Héraclite ; c’est celui de la coupe d’or dans laquelle le Soleil navigue sur l’Océan pendant la nuit, ou qu’Héraklès emprunte pour la traversée ; mais il faut remarquer que les premiers poètes chez lesquels on rencontre ce mythe, Stésichore, Mimnerme, Phérécyde, sont tous de l’époque de Thalès et par conséquent postérieurs aux relations établies entre la Grèce et l’Égypte. Or, qui a lu Hérodote ne peut douter que les Hellènes n’aient rapporté du Nil, avant toutes choses, des mythes religieux, et l’on ne peut guère donner de celui-là une autre explication.

Le caractère tout spécial de la conception cosmologique des Égyptiens est, en fait, l’argument le plus péremptoire pour y voir exclusivement l’origine de celle de Thalès. Ce caractère ressortira mieux, si l’on compare la conception des Chaldéens.

Pour eux, la terre est un bassin rond renversé, creux par dessous, et reposant sur l’abîme. Le firmament, « déployé au-dessus d’elle comme une tente »[1] sur laquelle s’étend la riche broderie des constellations,

Pareille à des clous d’or plantés dans un drap noir,

pivote perpétuellement sur une montagne située aux extrémités de la terre, par delà le fleuve Océan. Entre ciel et terre, circulent, au milieu des nuages, des vents, de la foudre, de la pluie, les sept planètes, sortes de grands animaux doués de vie : Samas (le soleil), Sin (la lune), Adar-Samdan (Saturne), Mardouk (Jupiter), Nergal (Mars), Istar (Vénus), Nabou (Mercure).

Dans cette cosmologie, à côté de traits communs aux croyances primitives des Hellènes, on en trouve d’autres qu’Anaximène paraît avoir empruntés plus tard ; mais rien ne ressemble à la conception que nous avons été conduits à attribuer à Thalès, rien ne ressemble à la cosmologie égyptienne, qui est d’ailleurs très inférieure, car la représentation chaldéenne distingue nettement le mouvement diurne de la sphère céleste et les mouvements des planètes.

  1. Maspéro. p. 142 et suiv.