Page:Tarsot - Fabliaux et Contes du Moyen Âge 1913.djvu/88

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messieurs, parce que la justice qu’on rend aux braves gens est le moyen le plus sûr de leur donner des imitateurs.

Dans le voisinage de Guillaume, demeurait un très riche seigneur, veuf et père d’une fille belle comme le jour, nommée Nina. Son château était, ainsi que celui du chevalier, situé dans les bois (car la Champagne alors avait beaucoup plus de forêts encore qu’elle n’en a aujourd’hui) ; et ils n’étaient distants l’un de l’autre que d’une grosse lieue.

Mais celui du vieillard, bâti sur un monticule fort escarpé, se trouvait en outre défendu par un fossé profond et par une forte haie d’épines, de sorte qu’on ne pouvait y aborder que par le pont-levis. C’était là que s’était retiré le prud’homme ; il y vivait tranquillement avec sa fille, faisant valoir sa terre qui lui rapportait annuellement mille bonnes livres de rente.

Avec une pareille fortune, vous jugez bien que la demoiselle, belle et aimable comme elle l’était, ne devait pas manquer de soupirants. De ce nombre fut Guillaume ; jaloux d’avoir pour mie une personne d’un mérite aussi rare, il mit tous ses soins à lui plaire ; et bientôt à force de courtoisie et de beaux faits d’armes, il y parvint. Mais quand le père vit les visites du chevalier devenir trop fréquentes, il défendit à sa fille de lui parler et le reçut lui-même avec une froideur si marquée, que le favori n’osa plus revenir.

Par là se trouva interrompue toute communication entre les deux jeunes gens. L’âge ne permettait plus au père de monter à cheval, ni de sortir ; ainsi n’était-il avec lui aucun espoir d’absence. Le vieux renard, d’ailleurs, ayant eu dans sa jeunesse plusieurs aventures,