Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/188

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c’est ce qui me sauva. Le lendemain, en allant chercher mon bateau, je passai chez le propriétaire du chien pour le prévenir que si ce fait se représentait, je n’hésiterais pas à tuer l’animal d’un coup de revolver. Il prit la chose de haut et me dit que ce serait alors à lui que j’aurais affaire ; sur quoi, je le quittai en lui répétant que si l’occasion se présentait, je casserais sûrement la tête du chien, et que s’il voulait alors se présenter, ce serait avec une réelle satisfaction que je le recevrais. Je vous assure que j’aurais souhaité que la chose arrivât, j’aurais administré à cette brute une correction dont elle se serait souvenue. Je ne crains pas un homme de première force, je le battrais neuf fois sur dix par ma grande agilité. »

Mon maître était en veine de souvenirs. Il poursuivit : « Je ne vous ai jamais raconté ce qui m’est arrivé un soir à Étretat ? Je ne me rappelle pas l’heure qu’il était, mais le ciel était couvert, et vous savez que dans le val, entre ces deux côtes, la nuit est toujours plus opaque. J’allais arriver à la haie du jardin, je n’avais rien aperçu d’anormal, quand, du côté des noisetiers, un énorme chien me sauta à la gorge sans me prévenir. Son attaque fut si forte que je faillis tomber à la renverse. J’avais à peine repris mon équilibre qu’il se jeta sur moi une deuxième fois. Alors, je le saisis à la gorge de ma main gauche et, de mon bras droit, je lui entourai le cou pour le rendre impuissant et l’étrangler si j’en avais la force. Sa position était mauvaise ; il le comprit sans doute, car il fit un effort suprême pour se dégager, et cela nous fit rouler tous deux ainsi cramponnés dans le fossé qui borde la route. J’avais le dessus, il était presque sur le dos ; sa rage était en ce moment à son comble, tout son corps frémissait et sa voix grondait épouvantablement. Moi, je