Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/189

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m’étais ressaisi et je fis le mouvement de me plier en deux pour lui poser mon genou sur la gorge, quand par hasard je trouvai sous ma main droite une assez grosse pierre anguleuse. Je la saisis et, sans prendre le temps de la réflexion, je la lui enfonçai dans la gueule, le plus profondément que je pus. Au bout d’un moment je compris que l’animal se rendait, son corps ne bougeait presque plus. Je retirai ma main, laissant la pierre et, avec mille précautions, je me dégageai. Je courus ramasser ma canne que j’avais laissée tomber sur le chemin pour la lui asséner et finir de l’assommer. Mais la lutte était terminée, j’entendis le chien qui se sauvait parmi les blés du champ voisin, et cela sans grognements aucuns. J’en étais stupéfait.

« Mes vêtements furent perdus ; j’avais les mains abîmées, je les trempai dans un bon bain de coaltar saponiné, puis j’en imbibai des linges dont je les enveloppai toute la nuit. Le lendemain matin, je constatai que je n’avais pas de morsures graves. Mais quelle ne fut pas ma stupéfaction quand, en ouvrant, la porte d’entrée, je vis couché sur le paillasson mon animal de la veille ! Il m’aperçut, se leva et, tout en se traînant, vint à moi comme pour me demander pardon. Je lui présentai mes mains meurtries, il les lécha avec douceur, je lui donnai alors du lait à boire, pour réparer les avaries de sa gorge. Il but. Après que je lui eus fait quelques caresses, il partit. Pendant deux ou trois saisons, sans excepter un jour, ce chien se trouva à ma porte à n’importe quelle heure que je descendisse.

« Un jour, Cramoyson voulut le chasser ; mais je le priai de n’en rien faire. Cette pauvre bête ne pouvait m’expliquer le motif pour lequel elle m’avait attaqué, mais j’étais touché de sa fidélité à venir me rendre sa