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Une dame au teint pâle est déjà à notre porte, avenue Victor-Hugo, dès 9 heures du matin ; elle demande M. de Maupassant… Je crois l’avoir déjà vue ; c’est une Russe qui fait un peu de littérature, mais elle incline surtout du côté de la politique…

Après son déjeuner, mon maître sort ; je passe dans la bibliothèque pour remettre de l’ordre et charger le feu. Je vois que les petits amours qui surmontaient les chenets d’Henri II disparaissaient sous des choses noires qui avaient voltigé jusque sur le tapis. C’était du papier brûlé ; sur la dalle du marbre, des petits bouts de feuilles manuscrites avaient échappé à la flamme. À ces bribes, je reconnus que c’était le manuscrit sur l’Italie qui gisait là parmi les cendres.

J’avais peine à en croire mes yeux. J’allais me diriger vers le coin de la bibliothèque, où se trouvait la veille le manuscrit, quand j’aperçus sur la table de mon maître quelques feuillets où il avait noté au crayon bleu : à revoir… Plus de doute, ce manuscrit de 220 pages, d’une valeur inestimable, n’existait plus !… Il contenait les souvenirs des voyages que mon maître avait faits en Italie.

Il y disait, avec une pitié encore plus expressive que celle qui a inspiré son article intitulé la Guerre, les sentiments qui lui étaient familiers sur ce grand sujet. Il montrait les dames de Vicence enfermées au fond d’une caverne, les luttes de Pise, de Florence et de Milan… C’était si bien rendu, si bien raconté, qu’on suivait les événements comme s’ils se fussent passés devant nous. On en était troublé, on sentait l’odeur du sang chaud des champs de bataille qu’il décrivait ; c’était, en un mot, empoignant comme une réalité.

Puis, mon maître traitait des arts et surtout des hom-