Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/244

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nuit Monsieur veut se rendre compte des moindres nuances qui apparaissent dans tout ce vaste panorama que nous avons en face de nous, par un beau coucher de soleil. Il est content, il trouve le tableau parfait : le soleil a disparu à droite, dans une vallée, il éclaire encore le lac dans toute sa longueur et donne à ses eaux une teinte d’incendie superbe ; les hauts sommets des montagnes sont maintenant dans l’ombre. C’est la nuit qui arrive.

En descendant, mon maître me dit : « Vous avez bien vu ? Eh bien, tout cela, vous le retrouverez dans mon roman. Aix et ses environs me donneront un cadre merveilleux pour faire mouvoir mes personnages. Je suis satisfait. C’était beau, et je sens que tout ce que j’ai vu est bien imprimé là. » Ce disant il se toucha le front.


22 juillet. — Mon maître paraît gai aujourd’hui, et, entre deux rires qui en disent long, il m’annonce que nous partons pour Cannes le surlendemain par le train du soir pour éviter la chaleur du jour : « Nous passerons via Valence ; j’avais bien pensé au chemin de fer des Alpes par Grenoble, mais il faudrait prendre presque tout le temps des trains omnibus, cela serait plus fatigant. J’ai maintenant tous mes documents, mes personnages sont bien chacun à leur place ; il n’y a plus à y revenir, je vois mon affaire très claire, absolument nette. »

J’annonçai à mon ami le valet de chambre de la princesse russe mon prochain départ. Il parut contrarié. Le soir, pour le distraire, je l’emmenai à la Villa des Fleurs et je l’initiai au jeu des petits chevaux, où j’étais venu avec la ferme intention de retrouver les deux louis que j’y avais laissés quelques jours auparavant. Quand mon ami eut compris le système, je me mis à jouer pour