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LE TENTATEUR.

À moi, ces feux tremblans qui parent la couronne,
Tous ceux dont un beau front, un beau cou s’environne,
À moi ! de tous tes maux me diras-tu l’auteur ?
Je n’ai pas dans ton sein mis ce feu créateur
Qui, sous la main des arts, se transforme ou s’envole
En sons, en marbre, en pierre, en couleurs, en parole ;
Rien n’est là de mon fait, je suis de bonne foi,
Mais le succès, mais l’or, mais la louange, à moi !
À moi, te dis-je, à moi ! maintenant romps ta chaîne,
Esclave ! serf rebelle, échappe à mon domaine !
Non, non, de tous ces biens à jamais désirés,
Mortels, vous n’aurez rien, si vous ne m’adorez !
Et toi, toi qui toujours les suis d’un œil d’envie,
Tu crois me dérober ta misérable vie,
Détrompe-toi, de cœur déjà tu m’appartiens ;
Et celui que tu sers exige plus des siens.
C’est en vain à ses pieds que le pauvre se jette,
S’il n’est pauvre d’esprit, le maître le rejette ;
Il ne prétend plus rien à ce que j’ai touché,
Il fait le dédaigneux ; pour lui j’en suis fâché,
Il y perd… or la part à ton gré la meilleure,
Pour toi, songe-s-y bien, est perdue à cette heure :
Suis donc l’avis qu’ici t’accorde ma pitié ;
Garde des biens du monde au moins une moitié !…
Il rit alors et part — mais celui qui l’écoute,
Désolé, le cœur plein d’amertume et de doute,
Au piège tentateur à grand’peine échappé,
S’écrie encor : Seigneur ! si vous m’aviez trompé ?…