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LE TENTATEUR.

Sans en rien contester, car il est mon ancien :
Créer est son domaine, user, voilà le mien !
Sans moi, d’aucun objet qui soit dans la nature
Tu ne saurais jouir, chétive créature ;
Et lui, jaloux qu’il est de son autorité,
Ne peut même entraver ta libre volonté :
Il fabriqua, dis-tu, ton âme à son image !
S’il fit bien, qu’on l’encense et qu’on lui rende hommage,
J’y souscris ; mais de plus que veut-il aujourd’hui ?
S’il ne l’est envers moi, je suis juste envers lui :
Sa main habilement suspendit les étoiles ;
Le jour lui doit ses feux, la nuit ses chastes voiles ;
À lui sont les beautés dont le globe est paré ;
À lui les eaux, la terre et l’espace azuré ;
À lui ce qui se meut, nage, rampe ou voltige,
Et tout ce que les vents balancent sur la tige,
Du brin d’herbe des champs aux feuilles des forêts.
Mais sitôt que la toise a touché les guérets,
Sitôt que le fossé se creuse, ou que la haie
S’élève, on reconnaît le coin de ma monnaie.
Jamais piège sans moi n’eût happé les oiseaux ;
Sans moi, jamais filets n’auraient troublé les eaux !
La mine où lentement l’or et l’argent mûrissent,
Où des blancs diamans les prismes s’équarrissent,
Est-elle rien qu’un bloc inutile et caché,
Autant qu’à ses trésors ma main n’a point touché ?
Mais tout ce qu’en son sein couve la terre avare,
Éclot par moi, pour moi ; de ce métal si rare
Toute parcelle où tombe une face de roi,
Écus, sequins, ducats, louis, guinée, à moi !