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UNE CHRONIQUE D’AMOUR.

C’est sa dernière nuit ! Autour d’elle, au hasard,
La jeune fille encor jette un dernier regard.
Eh ! comment sans effort quitter cette demeure ?
Il avait été là… L’heure passe après l’heure ;
Un triste enchantement semble arrêter ses pas ;
Au ciel sa lèvre pâle adresse encor tout bas
Quelques vœux de bonheur… hélas ! non pas pour elle !
Mais quel soudain espoir à ses yeux étincelle,
Comme l’éclair lointain dans un noir horizon ?
Elle aperçoit, couvert d’un antique blason,
Un vieux livre entr’ouvert, dont les pages gothiques
Racontaient aux lecteurs d’amoureuses chroniques :
Sur l’un des blancs feuillets, pour les jours à venir,
Ne peut-elle du moins laisser un souvenir ?
Ne peut-elle invoquer un regret, une plainte,
Qui la consolerait dans sa retraite sainte,
Et, dans un dernier mot, exhaler son amour ?…
La guirlande de fleurs, quittée avec le jour,
Que flétrit lentement le crépuscule sombre,
Par un dernier parfum se révèle dans l’ombre ;
Et le chant qui finit, mais qu’on écoute encor,
Nous jette pour adieu quelque dernier accord !
Elle saisit la plume, et soudain la rejette :
— Quoi ! sa douleur timide et si long-temps muette
Exposée au dédain !… Et cette ombre d’affront
D’une pourpre rapide a coloré son front.
Bientôt, à flots pressés inondant sa paupière,
Entre ses doigts tremblans tomba la pluie amère ;
Et, devançant des vœux peut-être irrésolus,
Sa main ferma le livre et ne te rouvrit plus…