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LA MER.

Je veux oublier tout, oui tout, pour le navire
Que laisse au sein du port le flot qui se retire.
Je veux voir décharger, aux lueurs du matin,
Tous les dons parfumés de l’orient lointain ;
Puis, le soir, contempler ces voiles repliées,
Ces cordages, ces nœuds, ces lignes déliées,
Qui se croisent dans l’air, et semblent sur l’azur,
Le travail délicat d’un pinceau ferme et pur.
Salut au pavillon qui joue entre ces toiles,
Et porte en un champ bleu treize blanches étoiles !
C’est pour notre triomphe aujourd’hui que tu viens !
Le tien fut nôtre un jour, ô sœur ! tu t’en souviens :
Salut ! Et vous, Anglais, qui nos rivaux naguères
À voix haute aujourd’hui vous proclamez nos frères,
Comme des bras amis nos ports vous sont ouverts ;
Venez !… Mais quelle proue a sillonné les mers ?
Oh ! voyez ! on dirait, sur les vagues fidèles,
Un oiseau qui revient au nid à tire-d’ailes !
Mes yeux me trompent-ils ? sur nos bords, en plein jour,
Les bannis d’Holy-Rood seraient-ils de retour ?
Ce navire, à la fois, porte-t-il à la France
Leur bannière vieillie et leur jeune espérance ?
Non : s’il a pour parrain l’héritier des vieux rois,
C’est que le temps va vite, et que depuis dix mois,
De vers le pôle austral, harponnant la baleine,
Il n’a rien vu, rien su : de la grande semaine,
Rien ; d’un roi nouveau, rien !… et le voilà cinglant
Avec son nom proscrit et son pavillon blanc !
Ô ce nom ! ce drapeau ! qui tous deux en partage
Ont la honte et le sang, effroyable héritage,