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LA MER.

Et sont pourtant tous deux innocens des malheurs
Que l’Europe avait cru l’aube de jours meilleurs !…
Arrachés par le fer, exhalés dans les chaînes,
Derniers soupirs de ceux qui meurent pour leur foi,
Que pousse le midi de ses tièdes haleines,
Que le souffle du nord apporte de ses plaines,
Laissez, ô laissez-moi !

Je veux oublier tout, oui tout, pour cette brise
Qui laboure à grand bruit la mer houleuse et grise,
Pour ces vagues soupirs, tristement modulés,
Pareils aux longs échos des orgues ébranlés :
On dirait quelquefois un concert d’hymnes saintes,
Puis un murmure sourd de reproche et de plaintes !
Ah ! dans ton vol vengeur, messagère du nord,
On te verra bientôt nous rapporter la mort !
La mort ! non cette mort éclatante et parée,
Qui dort sur un drapeau, de palmes entourée,
Et nous laisse tomber sous un glaive vainqueur,
Un espoir à la bouche, une foi dans le cœur :
La mort ! mais sans écho, muette, inattendue,
En subtiles vapeurs dans les airs répandue,
Qui fondra sur ce monde à de vils soins livré,
Sans y frapper un coup digne d’être pleuré !
Son souffle fanera, vous qui vivez de fêtes,
Les couleurs de vos fronts et les fleurs de vos têtes ;
Vous, qui tendez le verre aux vins étincelans,
Elle y viendra verser ses poisons à pas lents ;
Voyez-la se dresser, gens d’argent ou d’intrigues,
Entre vous et votre or, entre vous et vos brigues !