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DANTE.

Ne marchez pas sur l’onde, hommes de peu de foi !
Est-il un d’entre vous qui ne doute de soi ?
Qui, parmi ces grands noms que l’univers admire,
Ose inscrire le sien, sans peur, ou sans sourire ?
Qui se lie à sa haine, et d’une main de fer
Pèse ses ennemis et les plonge en Enfer ?
Ou qui se sente au cœur une amour assez pure
Pour l’élever aux cieux sur toute créature ?…
Non : en se confondant, tout se corrompt ; le miel
Ne produit rien de bon à se mêler au fiel ;
Et, de mille couleurs, en un seul ton fondues,
L’œil ne reconnaît plus les nuances perdues.
« Rien n’est vrai, rien n’est faux ; » voilà ce que nous dit
Le doux Poète, écho de ce chaos maudit,
Gouffre où toute espérance à sa source est flétrie,
Où toute foi qui naît, sèche à peine fleurie,
Siècle-Midas qui, pauvre au sein de son trésor,
Ne peut plus rien toucher qui ne se change en or.

Laissez, laissez-moi fuir vers la terre bénie,
Monde que de son souffle a créé le génie :
C’est là que je veux vivre ! Ô Dante ! à tes accords,
En dégoût des vivans j’irai trouver les morts.
Je veux suivre tes pas de supplice en supplice ;
Voir, d’un coupable amour, le livre doux complice,
Des mains de Francesca glisser avant la fin ;
Je veux plonger de l’œil dans la Tour de la Faim,
Laissant au lit de feu, qui punit son blasphème,
L’altier Farinata défier l’Enfer même ;
Puis, hors du gouffre, où gît l’esprit fallacieux,