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LE DRAME.

C’est toi qui façonnas ma lèvre à la prière ;
C’est toi qui m’enseignas l’humble chant du berceau ;
C’est toi qui recueillis une larme plus fière,
Quand la France guerrière
Mit dans un jour de deuil ses armes au faisceau.

Tu ne m’entraînas point dans ce chemin sublime
Où, pour trouver la gloire, il faut tenter les Dieux,
Gravir, la lyre en main, quelque fatale cime,
Interroger l’abîme,
Et s’y précipiter en détournant les yeux !

Pour te suivre, jamais ta course haletante
Ne m’a fait rejeter le voile de mon front,
N’a dérangé les plis de ma robe flottante ;
Au gré de mon attente,
J’ai trouvé le trajet plus paisible que prompt.

Mais je te vois frémir : trop long-temps je t’arrête ;
Pars donc et sois béni, béni, mon Ariel,
Toi, qui sans dévoiler, que d’une main discrète,
Ma blessure secrète,
Y sut verser pourtant une goutte de miel !

Quoi que ma vie encore ait de trouble et d’alarmes,
Tu ne reviendras plus moduler mes sanglots ;
Mais ton rapide adieu ne sera pas sans charme,
Et mes dernières larmes
Ont trouvé, grâce à toi, de sonores échos.