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À BÉRANGER EN PRISON.


Tout en chantant pour bercer nos souffrances,
Compte, pensif et le front sur ta main,
Combien, hélas ! de longues espérances
N’ont pas vécu jusques au lendemain !
Sous la terreur, la gloire ou la conquête,
Sans les subir tu sentis tous les jougs ;
Des libertés, seul, tu chômes la fête,
Et ce grand jour te voit sous les verrous.

Ainsi nos jours s’en vont de rêve en rêve ;
Les plus brillans s’éteignent dans les pleurs ;
Ce que l’un donne, un autre nous l’enlève :
Rien n’est à nous, pas même nos douleurs !
Que reste-t-il des promesses données,
De tant d’efforts, du sang versé pour nous ?…
Sur toi, de plus, pèsent quarante années,
Et ce grand jour te voit sous les verrous !

Foi, Liberté, mots qu’en vain l’on répète,
Nobles erreurs, fantômes décevans,
Peuplez du moins les songes du poète,
Seul univers où vous soyez vivans !
Si du talent le prisme fait éclore
Un arc-en-ciel sous des cieux en courroux,
Que lui du moins croie, espère, aime encore,
Quand ce grand jour le voit sous les verrous !