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I

Le village d’Oukléevo était situé dans un bas-fond, en sorte que, de la grande route et de la station du chemin de fer, on ne voyait que le clocher et des cheminées d’usines à imprimer les indiennes. Quand des passants demandaient quel était ce village, on leur répondait :

– C’est le village où, à un enterrement, le sacristain a mangé tout le caviar.

À un repas funèbre chez le fabricant Kostioukov, un vieux sacristain vit, parmi les hors-d’œuvre, du caviar frais et se mit à en manger avec avidité. On le poussa du coude, on le tira par les manches, mais, littéralement pétrifié de jouissance, il ne sentit rien et continua de manger. Il mangea tout le caviar et il y en avait dans le pot quatre livres. Dix ans avaient passé, le sacristain était mort depuis longtemps, mais on se souvenait toujours du caviar. Soit que la vie fût à Oukléevo extrêmement misérable ou que les gens y fussent incapables de rien remarquer en dehors de ce mince événement, on n’en racontait rien autre chose.