Page:Theuriet - Les Paysans de l’Argonne, 1870.djvu/14

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ils attendaient, le cœur plein d’angoisse et de doute,
Lorsque, vers le ravin penchant son front noirci,
Le charbonnier leur dit : « Écoutez !… Les voici… »

En effet, à travers la pluie et la rafale,
On distinguait un bruit confus… Par intervalle
La rumeur s’accroissait. De brefs commandements
Retentissaient pareils à des croassements,
Et les éclairs faisaient briller les baïonnettes,
Et déjà des soldats les voix montaient plus nettes.
Le charbonnier cria : « Mort aux brigands !… À mort !… »
Et ce fut le signal… Sur ces hommes du Nord
Les troncs d’arbres noueux et les quartiers de roche
Croulèrent, comme si l’Argonne, à leur approche,
Eût convulsivement secoué de son front
Les rocs et les forêts pour venger son affront.
Les grès lourds écrasaient les Prussiens par vingtaines.
« En avant ! en avant ! » hurlaient les capitaines
Avec d’affreux jurons ; mais ils hurlaient en vain ;
Les plus braves soldats tombaient dans le ravin,
Fous de peur, et mouraient avec un cri sauvage,
En songeant au clocher lointain de leur village.