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main, au-dessus de la grande poésie. Mais on m’accordera qu’il y a des époques plus propres à la goûter qu’à la produire. Je ne crois pas que jamais Homère et Dante, par exemple, aient été plus vivement sentis que dans notre époque à la fois profondément érudite et profondément émue. Pourtant, bien que nous ayons eu des poëtes et des peintres remarquables, notre temps n’a pas produit cette poésie naïve et énergique de la Florence du treizième siècle, ou de la Grèce primitive. Les sociétés ont leur âge comme les individus, et chaque âge a ses occupations particulières. J’ai toujours considéré l’histoire comme l’occupation qui convenait non pas exclusivement, mais plus spécialement à notre temps. Nous n’avons pas perdu la sensibilité aux grandes choses, et en tout cas notre siècle aurait suffi pour nous la rendre, et nous avons acquis cette expérience qui permet de les apprécier et de les juger. Je me suis donc avec confiance livré aux travaux historiques dès ma jeunesse, certain que je faisais ce que mon siècle était particulièrement propre à faire. J’ai consacré à écrire l’histoire trente années de ma vie, et je dirai que, même en vivant au milieu des affaires publiques, je ne me séparais pas de mon art pour ainsi dire. Lorsqu’en présence de trônes chancelants, au sein d’assemblées ébranlées par l’accent de tribuns puissants, ou menacées par la multitude, il me restait