Page:Thoinan - Les Relieurs français, 1893.djvu/205

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en quoi que ce soit de la grande réputation qui s’attache à celui du Gascon, en a même été obscurci, n’est-il pas étrange d’avoir à démontrer qu’au contraire ce sont surtout ses œuvres, à lui Badier, sur lesquelles on s’appuie le plus pour proclamer la gloire de son émule, peut-être son compatriote ? En un mot, les œuvres de Florimond Badier sont débaptisées sans merci, on lui en nie la paternité pour en faire honneur au Gascon dont cependant on ne connaît pas une seule reliure qu’on puisse affirmer être de lui authentiquement et sans conteste. C’est une réhabilitation par conséquent qu’il nous faut entreprendre si nous voulons rester entièrement dans la vérité ; voyons donc ce qu’il en est réellement, de ces erreurs causées par des attributions hâtives et trop facilement acceptées.

Que Florimond Badier ait quitté les bords de la Garonne ou toute autre localité, pour venir à Paris, il est certain qu’il s’engagea comme apprentif chez Jean Thomas, doreur, le 30 novembre 1630. Son brevet d’apprentissage légalisé et en règle fut passé chez Cressé, notaire, et enregistré le 29 juillet 1636. Il travailla ensuite comme compagnon pendant quelques années, puis, ayant épousé la fille du relieur Jean Gillede, il se fit recevoir maître le 6 juillet 1645. À cette occasion il versa neuf livres pour la confrérie et vingt sous pour les pauvres.

Il existe un volume in-folio : De Imitatione Christi, de l’Imprimerie royale, dont la dorure, contrairement aux habitudes du temps, porte la marque en or : Florimond Badier, Fecit, Inv. Exposée depuis peu à la Bibliothèque nationale sous le n°649, cette reliure a appelé l’attention des amateurs, et suscité les éloges des uns ou les critiques des autres. M. Gruel l’a donnée à grands frais dans son Manuel, et en a reproduit les plats extérieurs et intérieurs, y compris leurs couleurs variées, avec une perfection qu’il est impossible de surpasser. Il dit justement que « l’importance de cette magnifique reliure n’échappera à personne : car, à tous les points de vue, elle est d’un intérêt considérable ». Un autre praticien, loin de penser de même, se montre au contraire très sévère et résume ainsi sa critique passablement violente : « Aussi prétentieux qu’inhabile, l’auteur a signé ce volume : Florimond Badier, inv. et fecit, et cela en lettres énormes. Fecit malheureusement ; invenit, jamais ! »

Moins prévenu, notre censeur étonné de l’étrangeté, très digne de remarque à cette époque, de la signature d’un doreur accompagnée du mot invenit, se serait préoccupé d’en rechercher la raison et n’aurait pas eu de peine à découvrir qu’en effet, le style de ces entrelacs et de ces fers exclusivement pointillés était tout à fait nouveau. Cette découverte l’eût peut-être rendu moins tranchant… mais n’anticipons pas sur les considérations que nous aurons encore à invoquer et nous en tenant pour l’instant à ce fameux volume de l’Imitation tant décrié, qu’il nous soit permis de donner ici notre humble avis sur sa valeur, en y mettant simplement la plus grande sincérité possible.

La couverture du volume de Florimond est en maroquin rouge avec compartiments de couleurs diverses également en maroquin uni, sauf quatre d’entre eux qui, placés bien en évidence, sont marbrés ou teintés