Page:Thoinan - Les Relieurs français, 1893.djvu/207

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ne lui aurait pas appartenu personnellement et exclusivement ?

Cette figure humaine mêlée aux ornements est bien connue ; elle passe, toujours d’après l’élastique tradition, pour être non seulement la marque du Gascon, mais encore son portrait. Où se trouve l’origine de cette tradition ? Nulle part, bien entendu, et il faut sans doute n’y voir que le fruit de l’imagination des bibliomanes du temps de Thouvenin, les dignes précurseurs d’Ed. Fournier en matière d’histoire de la reliure. Aussi prompts à expliquer les choses les plus obscures qu’à baptiser un genre sans tenir compte de la chronologie, ces amateurs épris de Fanfares, ou d’inductions tout aussi retentissantes que peu justifiées et qu’un de nos amis appelle plaisamment des fanfarons, changent parfois d’avis. Cette tête, par moments, n’est plus pour eux l’image du Gascon (ce qui est vraisemblable puisqu’elle se trouve répétée cinquante-deux fois sur une reliure signée Badier), et devient simplement un fer à l’usage de tous, pouvant être emprunté et employé par le premier venu. Affirmation sans valeur, car on ne saisit pas bien la raison d’après laquelle des relieurs se seraient vus contraints de reproduire cette tête, non une autre, et par suite d’avoir recours à l’obligeance d’un confrère, ce à quoi on ne se soumet que quand on ne peut faire autrement.

D’ailleurs les décorations à bases d’entrelacs avec dentelles filigranées, qui sont surtout celles sur lesquelles se voit la petite tête, ne datent que de 1645 et si on la retrouve sur des dorures à encadrements intérieurs comme on en fit avant le retour des dispositions à entrelacs, ces dorures absolument conformes par les gerbes aux pointillés de Badier, portant de plus en bordures les mêmes roulettes qu’il employa constamment, sont, à n’en pas douter, postérieures à 1645[1].

Aucune des reliures ornées de ce curieux profil ne remontant avant cette date, ne serait-il pas singulier, par conséquent, que le Gascon, qui exerça son art au moins depuis 1622, se soit seulement avisé à la fin de sa carrière de se faire une marque ? N’est-il pas au contraire très naturel que Badier ait voulu s’en créer une au début de la sienne ?

Têtes au pointillé employées par Badier
Têtes au pointillé employées par Badier

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Non ! cette tête, c’est bien certain, ne se passait pas de mains en mains et n’était pas un ornement banal que chacun pouvait emprunter comme on le faisait par exception pour les monogrammes, armoiries, ou autres signes héraldiques quelconques ; n’y avait-il pas là toute une série : tête à gauche, tête à droite, têtes dos à dos ? Cette singularité n’indique-t-elle pas d’autant mieux une propriété individuelle que c’était, nous le répétons, foujours la même physionomie, d’une seule et unique dimension, en un mot les mômes fers ? Et ces fers n’appartenaient-ils pas en propre à Badier qui dut être par conséquent le seul à s’en servir ?

  1. Nous ne connaissons, il est vrai, qu’une seule reliure à encadrements intérieurs avec têtes et encore ne la connaissons-nous que par la photogravure reproduite planche 41 dans La retiure ancienne et moderne publiée chez Rouveyre et Blond en 1884. Quant aux autres reliures analogues, mais sans têtes, et qui ne sauraient être attribuées qu’à Badier, d’après les fers filigranés toujours les mêmes, elles sont assez nombreuses. Nous nous bornerons à citer le n° 624 à l’exposition de la Bibliothèque Nationale : Traité de connaissance des animaux par de La Chambre, Paris, 1648, in-4. Aux armes de Condé ; puis le Joannis Cassiani Eremitx relié pour le chevalier Digby, qui est conservé à la bibliothèque Mazarino et dont nous avons reproduit le dessin pl. XXII.(Il y manque toutefois la fleur de lys du milieu, supprimée par notre dessinateur sans que nous sachions pourquoi ?)
  2. WS : Dix sciècles de reliures d’Yves Devaux : p 144 …cette tête était la marque de Florimond Badier ; hypothèse qui est à présent abandonnée