Page:Thoreau - Walden, 1922.djvu/17

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aujourd’hui nous faire plus que jamais réfléchir, car jamais elle ne fut plus apparente : c’est qu’on a commis la faute de faire prévaloir les intérêts matériels sur les spirituels, — et je m’entends lorsque je dis intérêts spirituels, — que ce ne sont les automobiles, les aéroplanes plus que la télégraphie sans fil ni toutes les inventions de cet ordre qui feront faire un pas à l’humanité vers le but auquel elle tend. Cette vérité s’est prouvée éclatante pour l’Allemagne la première. Et voyez ce que dit le prophète de Concord à propos des chemins de fer, nouvelle invention de son temps : « Les hommes croient essentiel que la Nation parcoure trente milles à l’heure, que ce soient eux-mêmes ou non qui le fassent ; mais que nous vivions comme des babouins ou comme des hommes, voilà qui est quelque peu incertain. Si au lieu de fabriquer des traverses et de fabriquer des rails, et de consacrer nuits et jours au travail, nous employons notre temps à battre sur l’enclume nos existences pour les rendre meilleures, qui donc construira des chemins de fer ? Et si l’on ne construit pas de chemins de fer, comment atteindrons-nous le Ciel en temps ? Mais si nous restons chez nous à nous occuper de ce qui nous regarde, qui donc aura besoin de chemins de fer ? Ce n’est pas nous qui roulons en chemin de fer ; c’est lui qui roule sur nous. Avez-vous jamais pensé à ce que sont ces traverses, ces « dormants », qui supportent le chemin de fer ? Chacun est un homme… Je suis bien aise de savoir qu’il faut une équipe d’hommes par cinq milles pour maintenir ces « dormants » en place, car c’est signe qu’ils peuvent à quelque jour se relever. »

Mais je ne veux pas ravir au lecteur la satisfaction de découvrir lui-même à chaque ligne de Walden que s’il est de terribles maux, il est d’admirables remèdes, et qu’au fond des plus noires ténèbres humaines repoint inlassablement une lumière, qui grandit pour, espérons-le, un jour devenir enfin celle qui à jamais nous éclairera.

Ce n’est pas aujourd’hui que je me sens au fond des ténèbres. C’était en 1913, à la veille de la Guerre. J’avais demandé à Rudyard Kipling de remettre du sang rouge dans les veines françaises. Je demandais à Walt Whitman de préciser à la France le but pour lequel trop souvent en aveugle elle combattait, c’est-à-dire l’Amour, l’Amour Cosmique, l’Amour Omnipotent. J’étais allé à François d’Assise lui demander de me débarrasser de tout ce que je sentais m’encombrer, et qui n’était que les mille besoins artificiels multipliés par une civilisation ne reposant que sur la matière, pour l’étouffement de toute beauté humaine. Et j’arrivai comme naturellement à Henry David Thoreau, que j’appris plus tard passer pour le François d’Assise de l’Amérique, le François d’Assise de nos jours. Dirai-je mon ravissement à trouver ici précisées, résumées, les pensées finales auxquelles tout le travail