Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/222

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fasse. Ici, le colon prend si peu d’intérêt à l’entreprise, qu’il faut le forcer par la rigueur à semer le grain qui doit le nourrir. Il se résignerait presque à mourir de faim pour tromper les espérances de la société qui le punit. De grandes calamités doivent donc accompagner les commencements d’une pareille colonie.

Il suffit de lire l’histoire des établissements anglais en Australie pour être convaincu de la vérité de cette remarque. Trois fois la colonie naissante de Botany-Bay a failli être détruite par la famine et les maladies, et ce n’est qu’en rationnant ses habitants, comme les marins d’un vaisseau naufragé, qu’on est parvenu à attendre les secours de la mère-patrie. Peut-être y eut-il inertie et négligence de la part du gouvernement britannique ; mais, dans une semblable entreprise, et lorsqu’il faut opérer de si loin, peut-on se flatter d’éviter toutes les fautes et toutes les erreurs ?

Au milieu d’un pays où il s’agit de tout créer à la fois, où la population libre est isolée, sans appui, au milieu d’une population de malfaiteurs, on comprend qu’il soit difficile de maintenir l’ordre et de prévenir les révoltes. Cette difficulté se présente surtout dans les premiers temps, lorsque les gardiens, comme les détenus, sont préoccupés du soin de pourvoir à leurs propres besoins. Les historiens de l’Australie nous parlent, en effet, de complots sans cesse renaissants et toujours déjoués par la sagesse et la fermeté des trois premiers gouverneurs de la colonie, Philip, Hunter et King.

Le caractère et les talents de ces trois hommes doivent être comptés pour beaucoup dans le succès de l’Angleterre, et quand on accuse le gouvernement britannique d’inhabileté dans la direction des affaires de la colonie, il ne faut pas oublier qu’il remplit du moins la tâche la plus difficile et la plus importante peut-être de tout gouvernement : celle de bien choisir ses agents.

Nous avons admis tout à l’heure que le lieu de déportation était trouvé ; nous admettons encore en ce moment que les