Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol12.djvu/114

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de la place pour faire un détour, et il y a toujours la nuit, pendant laquelle on ne voit rien, ce dont les savants militaires peuvent se convaincre par les exemples de Krasnoié et de la Bérésina, et l’on ne peut nullement capturer personne, à moins que ceux qu’on capture n’y consentent, de même qu’on ne peut capturer l’hirondelle, bien qu’on puisse l’attraper si elle se pose sur la main. On peut capturer celui qui se rend, comme les Allemands, selon les règles de la stratégie et de la tactique. Mais, avec raison, les troupes françaises ne le trouvaient pas commode parce que la mort par la faim ou le froid les attendait aussi bien dans la captivité que dans la fuite.

Quatrièmement et principalement, c’était impossible parce que jamais, depuis que le monde existe, il n’y eut de guerre dans des conditions aussi terribles que celles de 1812, et les troupes russes, en poursuivant les Français, déployaient toutes leurs forces et ne pouvaient faire rien de plus sans s’anéantir elles-mêmes.

Dans le mouvement de l’armée russe de Taroutino à Krasnoié, cinquante mille hommes, tant malades que retardataires, étaient perdus, c’est-à-dire le chiffre de la population d’un grand chef-lieu de province. La moitié de l’armée fut perdue sans combats.

Et c’est précisément en parlant de cette période de la campagne, où les troupes sans bottes, sans pelisses, des provisions insuffisantes, sans eau-de-