Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol12.djvu/279

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Il ne se permettait point d’accabler un homme de travail ou de le punir seulement parce qu’il le voulait ainsi, pas plus qu’il ne se permettait d’alléger du travail ou de récompenser un homme parce que tel était son plaisir. Il n’aurait su dire en quoi consistait la mesure de ce qu’il fallait faire ou ne pas faire, mais en son esprit cette mesure était précise et immuable.

Souvent, en parlant d’un insuccès ou d’un désagrément quelconque, il disait : « Avec notre peuple russe », et il s’imaginait détester les paysans. Mais au contraire, de toute son âme il aimait « notre peuple russe » et ses mœurs, et c’est pourquoi il suivait, dans l’exploitation, la seule voie donnant de bons résultats.

La comtesse Marie était jalouse de cet amour de son mari pour le peuple et regrettait de ne le pouvoir partager : mais elle ne pouvait comprendre le plaisir et l’ennui que lui donnait ce monde particulier, étranger pour elle. Elle ne pouvait comprendre pourquoi il était si animé et heureux quand, levé à l’aube, après avoir passé toute la matinée dans les champs ou le clos, pendant les semailles ou la récolte, il rentrait pour le thé. Elle ne comprenait pas son enthousiasme quand il parlait du riche paysan Matthieu Ermichine qui, avec sa famille, durant toute la nuit avait dressé les meules, tandis que chez les autres rien n’était arrangé. Elle ne comprenait pas pourquoi il était si joyeux