Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol12.djvu/385

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cette catégorie inventent une abstraction très vague, très insaisissable et, en général, sous laquelle on peut classer le plus grand nombre d’événements, et ils disent qu’en cette abstraction consiste le but du mouvement de l’humanité. Les abstractions générales le plus souvent admises par la plupart des historiens sont : la liberté, l’égalité, l’instruction, le progrès et la civilisation. En assignant comme but au mouvement de l’humanité une abstraction quelconque, les historiens étudient les hommes qui ont laissé après eux le plus grand nombre de monuments — des rois, des ministres, des capitaines, des écrivains, des réformateurs, des papes, des journalistes — dans la mesure suivant laquelle tous ces personnages ont, selon leur opinion, appuyé ou combattu une certaine abstraction. Mais comme il n’est pas du tout prouvé que le but de l’humanité soit l’égalité, la liberté, l’instruction ou la civilisation, et puisque le lien des masses avec les gouvernements et les maîtres de l’humanité n’est basé que sur cette supposition arbitraire que la somme des volontés des masses se transporte toujours sur les personnes qui sont en vue, alors l’activité des millions d’hommes qui émigrent, qui brûlent leurs maisons, qui abandonnent l’agriculture, qui se détruisent mutuellement ne s’exprime jamais dans la description d’une dizaine de personnes qui ne brûlent pas de maisons, qui ne s’occupent pas d’agriculture et ne tuent pas leurs semblables.