Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol36.djvu/311

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à la barbe parfumée, ne fut plus pour elle ce Nekhludov qu’elle avait aimé autrefois, mais un de ces clients accoutumés, qui se servent de créatures comme elle, quand ils en ont besoin, et dont des créatures comme elle ont le devoir de se servir le plus avantageusement possible. C’est pourquoi elle lui souriait de son sourire caressant.

Sans mot dire, elle réfléchissait à la façon dont elle pourrait le mieux se servir de lui.

— Tout cela est fini, — reprit-elle. — Et maintenant voilà qu’on m’a condamnée au bagne. — Et à ces mots terribles ses lèvres frémirent.

— Je savais, j’étais sûr, que vous n’étiez pas coupable, — dit Nekhludov.

— Bien sûr, pas coupable. Je ne suis pas une voleuse. On dit ici que tout est de la faute de l’avocat, — continua-t-elle, — et aussi qu’il faut signer un pourvoi. Mais on dit que cela coûte très cher…

— Oui, sans doute, — dit Nekhludov. — Je me suis déjà adressé à un avocat.

— Mais il en faut prendre un bon. Ne pas regarder à l’argent, dit-elle.

— Je ferai tout ce qui sera possible.

De nouveau le silence.

Elle sourit et reprit :

— Je voudrais vous demander… de l’argent, si vous pouvez. Pas beaucoup… dix roubles. Cela me suffira, — dit-elle.