Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol37.djvu/217

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de tabac, et qu’il laissa tomber sur Nekhludov un regard négligent et protecteur, comme s’il ne le connaissait pas, Nekhludov, avant que la porte ne fût refermée, gagna le couloir, où il prit son pardessus, et quitta le théâtre.

Comme il suivait la perspective Newsky pour rentrer chez lui, il aperçut devant lui, marchant avec assurance sur l’asphalte du large trottoir, une femme grande, bien faite, de mise recherchée et tapageuse, dont le visage, comme tout l’ensemble de la personne, exprimait la conscience de son vilain pouvoir. Tous les passants se retournaient vers elle et la regardaient. Nekhludov qui marchait d’un pas plus rapide la joignit, et, involontairement, la dévisagea à son tour. Son visage, bien que fardé, était beau et, en souriant, elle lança une œillade à Nekhludov. Chose étrange, Nekhludov se rappela aussitôt Mariette ; il venait en effet d’éprouver le même sentiment de séduction et d’aversion qu’il avait ressenti au théâtre.

Après l’avoir rapidement dépassée, Nekhludov tourna rue Morskaia et gagna le quai où il se mit à marcher de long en large au grand étonnement de l’agent de police.

« Elle m’a souri comme l’autre m’a souri au théâtre, quand je suis entré, se disait-il, et l’un et l’autre sourire ont le même sens. La seule différence c’est que celle-ci parle franchement, sans détours : « Tu as besoin de moi ? Prends-moi !