Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol37.djvu/370

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détacher mes regards, et il s’arrêta. Oui… À ce moment, de sa voix timbrée de juif, Rozovsky se mit à crier dans le corridor. Lozynsky jeta sa cigarette et s’éloigna de ma porte. Rozovsky le remplaça devant le judas. Son visage enfantin, aux yeux noirs humides, était rouge et inondé de sueur. Lui aussi avait du linge propre et retenait à deux mains son pantalon trop large et tremblait. Il approcha son malheureux visage et dit : « Anatole Petrovitch, n’est-ce pas que le médecin m’avait ordonné de la tisane ? Je suis souffrant et j’en boirais bien encore ! » Personne ne répondit, et d’un air interrogateur il regardait tantôt moi, tantôt le directeur. Que voulait-il dire ? Je ne l’ai jamais compris. Oui… Tout à coup l’adjoint prit un air sévère et cria d’une voix aiguë : « Que signifie cette plaisanterie. En route ! » Rozovsky évidemment ne pouvait pas comprendre ce qui l’attendait, et il s’en alla d’un pas rapide, presque courant devant tous. Soudain il s’arrêta et j’entendis ses pleurs et sa voix perçante ; un bruit de pas et de lutte. Il continuait à pleurer et à crier. Puis, de plus en plus loin. La porte du corridor résonna et tout redevint silencieux. Oui… Et on les pendit ! On les étrangla tous deux avec des cordes ! Un gardien, un autre, qui vit l’exécution, m’a raconté que Lozynsky n’avait opposé aucune résistance tandis que Rozovsky avait lutté longtemps, si bien qu’on avait dû le traîner à la potence et