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Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol9.djvu/330

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des domaines, dont il disposait déjà en imagination, blessait Boris. Il partit chez les Karaguine avec l’intention ferme de faire sa demande. Julie l’accueillit d’un air joyeux, elle raconta négligemment combien elle s’était amusée au bal de la veille et lui demanda quand il partait.

Bien que Boris fût venu avec l’intention de parler de son amour, et par conséquent eût l’intention d’être tendre, il se mit à parler nerveusement sur l’inconstance des femmes, sur leur facilité à passer de la tristesse à la joie et sur leur humeur qui dépend seulement de celui qui leur fait la cour. Julie, offensée, dit que c’est vrai, qu’une femme aime la variété, que le « toujours la même chose » ennuie n’importe qui…

— Pour cela je vous conseille… Il désirait la piquer, mais à ce moment, il lui vint la pensée blessante qu’il pourrait quitter Moscou sans avoir atteint son but et en perdant en vain son travail (ce qui ne lui arrivait jamais) ; il s’arrêta au milieu de la conversation, baissa les yeux pour ne pas voir le visage désagréable, agacé et indécis, et dit : — Je ne suis pas venu pour me quereller avec vous. Au contraire… Il la regarda pour s’assurer s’il pouvait continuer. Toute la nervosité de Julie disparut d’un seul coup et ses yeux inquiets, suppliants, étaient fixés sur lui avec une attention ardente. « Je pourrai toujours m’arranger pour ne la voir que rarement, et l’affaire est commencée, il faut la finir ! » pensa