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Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol9.djvu/346

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visage, ses yeux, son sourire viril et enfantin à la fois… Non, mieux vaut n’y pas penser, n’y pas penser, oublier, oublier tout à fait pour le moment. Je ne supporterai pas cette attente, je vais sangloter tout de suite. — Et elle s’éloigna de la glace en faisant un effort pour ne pas pleurer. — Et comment Sonia peut-elle aimer Nicolas si également, si tranquillement et attendre si longtemps avec une telle patience ! pensa-t-elle en regardant Sonia qui entrait habillée aussi et un éventail à la main. Non, elle est tout autre, mais moi je ne puis pas ! »

Natacha se sentait en ce moment si tendre, si douce que pour elle c’était peu d’aimer et de se savoir aimée, il fallait tout de suite embrasser l’homme aimé, entendre de lui la parole d’amour dont son cœur était plein. Pendant qu’elle était en voiture à côté de son père et regardait songeuse les feux des réverbères qui glissaient dans la vitre givrée, elle se sentait encore plus tendre et plus triste et oubliait avec qui elle était et où elle allait. Dans la file des voitures, les roues grinçant sur la neige, la voiture des Rostov s’approchait du théâtre. Natacha et Sonia sortirent vivement en relevant leurs jupes ; le comte descendit, aidé par les valets, et, parmi les dames et les messieurs qui entraient et parmi les vendeurs de programmes, tous trois pénétrèrent dans le couloir des baignoires. Derrière la porte fermée on entendait les sons de la musique.