Page:Tolstoï - Œuvres complètes vol1.djvu/234

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mon âme une agréable inquiétude, le désir de faire quelque chose — indice d’un véritable plaisir.

Je n’avais pas réussi à faire une prière à l’auberge, mais comme j’avais remarqué maintes fois que les jours où j’oubliais, par une circonstance quelconque, de remplir ce devoir, il m’arrivait quelque malheur, je voulus réparer ma faute : j’ôtai mon chapeau, me retournai dans le coin de la voiture, je dis mes prières et fis le signe de la croix sous le menton, de façon à ce que personne ne le vît. Mais des milliers d’objets divers détournaient mon attention, et par distraction, je répétais plusieurs fois de suite les mêmes paroles des prières.

Voilà, sur le sentier des piétons, qui suit la route, on aperçoit des personnes qui se meuvent lentement : ce sont des pèlerines. Leur tête est couverte d’un fichu sale ; sur leur dos est une besace faite d’écorce de bouleaux, leurs jambes sont enveloppées de bandelettes sales, déchirées, leurs pieds sont chaussés de lourds lapti[1]. Leurs bâtons s’agitent régulièrement et elles nous regardent à peine ; à pas lourds, lents, elles s’avancent l’une après l’autre, et je me pose les questions : « Où et pourquoi vont-elles ? Leur voyage sera-t-il long ? Les longues ombres qu’elles projettent, rejoindront-elles bientôt sur la route celle du cythise devant lequel elles doivent passer ? » Voila, une voi-

  1. Chaussures en bois tressé que portent les paysans russes.